La Corée et l'adoption (1) Histoire

vendredi, août 15, 2014

Avant-propos.

Nota bene: les propos tenus ci-après ne sont que ceux de l'auteure et n'engagent à aucun moment l'ensemble des collaborateurs du blog.

Cet article d'investigation sur l'adoption en Corée du Sud se veut une introspection sur les arcanes de ce système. L'adoption reste un sujet encore tabou dans nos sociétés et c'est avec la plus grande rigueur que j'ai tenté de le traiter. Cet article ne veut en aucun vous faire adhérer pour une position ou pour une autre, mais vous offrir une vue d'ensemble du phénomène afin de vous fournir des pistes de réflexions. Si mes avis filtrent à travers mes mots, ils ne seront que le reflet d'un point de vue français extérieur au phénomène. Je ne tiens en aucun cas à heurter les personnes ayant vécu une adoption, et si tel était le cas, sachez que j'en n'ai nulle intention.

L'adoption coréenne est un vaste sujet peu étudié et encore tabou dans la société sud-coréenne et encore dans la nôtre. L'on pourrait s'offusquer du paradoxe que la Corée du Sud offre en matière d'adoption : malgré un taux de natalité au plus bas et une croissance et une richesse exponentielle, la Corée continue encore d'exporter ses bébés à l'étranger. Mais s'offusquer d'une telle situation sans comprendre les rouages qui lient l’État aux agences d'adoption serait vain.


Pour comprendre ce système, il faut plonger dans son histoire, qui remonte bien avant la guerre de Corée. Il faut planter le décors d'une société sud-coréenne en proie à la peur de l'échec et du rejet ; à la philosophie de l'équilibre si fortement ancrée dans les consciences que l'adoption ne devient plus une solution de derniers recours mais une véritable échappatoire au chaos social.

Mais il faut aussi écouter les voix de ses dizaines de milliers d'adoptés, qui chaque années, tentent de retrouver leurs identités, si ce n'est leurs géniteurs dans la péninsule.

Tableau historique.

    A. Les racines du système : une relation coréano-américaine.


    Même si l'adoption à la coréenne à tout à voir avec la guerre de Corée, il faut revenir aux premiers maillons de la chaîne. Car bien qu'il fasse état d'enfants coréens, il faut aussi des parents étrangers pour les accepter dans leurs foyers. La mise en place de ces liens avec les familles étrangères remonte au moins au XVIe siècle.
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    Eglise à Séoul
    Bien sûr, au XVIe siècle il n'était pas encore question d'adoption à proprement parler. Mais c'est à cette époque qu'ont été semées les premières graines du système grâce à l'établissement des missionnaires protestants. La mission première des membres des églises protestantes américaines (en majorité baptistes et pentecôtistes), est de convertir le peuple coréen au christianisme. Plus souple que les missionnaires catholiques français dans leurs manières d'aborder le rapport au culte chrétien (traduction de la Bible en coréen, adaptation des dogmes chrétiens aux rituels coréens …), les missionnaires protestants arrivent à mieux s'intégrer dans le paysage et construisent tout un réseau de développement pour les populations locales. Les missionnaires sont à l'initiative d'écoles, de dispensaires et hôpitaux, de la construction d’Églises et d'éducation à la démocratie (un concept encore inconnu dans une société de castes).
    A l'époque où il n'existait pas d’État-providence, les Églises protestantes sont devenues rapidement aux yeux de la population des organismes sociaux de premiers rangs dans lesquels on pouvait avoir confiance. Lors des situations de crise, les Églises protestantes représentaient le premier maillon de sauvegarde de la société.
    Après leur résistance active face à la colonisation japonaise (1905-1945), les Coréens protestants sont employés comme aide de camp, traducteur ou secrétaire par le gouvernement militaire américain (USAMGIK), installé à Séoul après la reddition japonaise (1945). Ces Coréens parlent anglais et surtout connaissent le principe de démocratie, qui est une valeur importante aux yeux des américains. Le confucianisme, alors religion prédominante, n'a réussi à maintenir l'unité du pays et les églises s'engouffrent dans la brèche pour pallier à la perte générale de la foi et connaissent un développement fulgurant valable encore aujourd'hui. 

    Mais ce qu'il est important de comprendre à ce moment là est la connexion entre les églises protestantes américaines installés en Corée, dont les principes et les idéaux se calquent sur les valeurs judéo-chrétiennes (charité, don de soi, rassemblement du peuple) et le pouvoir américain, sensible à cette appel protestant, dans laquelle tout naturellement l'adoption va trouver sa place.

    Malgré un contingent international envoyé par l'ONU (dont des Français), les Américains occupent une force quasi-hégémonique sur le territoire sud de la Corée (nb: en 1945, la Corée est en période de tutelle, elle ne sera officiellement séparée qu'en 1948).

    Face au grand chambardement de la guerre, le manque d'infrastructures et la dislocation des familles, la charité chrétienne prend le relais des situations d'urgence. En effet, les Américains sur place doivent parer au plus pressé. D'un côté, l'économie est à zéro, les premières revendications coréennes du pouvoir se font entendre et les communistes ont la main mise sur le nord du territoire. Afin de contenir les 2 millions d'orphelins que compte la Corée du Sud, les autorités mettent en place dès 1954 des orphelinats, pendant que les églises outre-pacifique se font l’écho d'une situation catastrophique pour ces enfants. Les premières adoptions datent de 1955 où la famille Holt (qui deviendra plus tard l'agence d'adoption HOLT) donne le ton en adoptant 8 orphelins coréens. S'en suit une vague de charité chrétienne dans laquelle les familles américaines "sauvent" des dizaines d'orphelins dans un cadre légal d'adoption encore flou. Hollywood se permettra de nourrir la propagande avec le film «Battle Him» (Les Ailes de l'Espérance) dans lequel Rock Hudson sauve des centaines d'orphelins coréens par convois aérien.
    Mais aux orphelins de la guerre s'ajoutent les enfants de GI et de Coréennes inacceptés dans une société où les liens du sang priment. Dès lors, l'on ne parle plus d'orphelins mais d'enfants abandonnés. Les mères préfèrent laisser leurs enfants à l’hospice ou s'envoler pour les États-Unis. Elles seront près de 100 000 à rejoindre leur conjoint après la Guerre de Corée et constituent la base de la communauté coréenne aux États-Unis.

    B. Évolution vers un système systématisé.


    Dans les premières années suivant la guerre (1958-1968), ce sont près de 6 677 enfants qui sont envoyés à l'étranger, dont 6 002 aux États-Unis (chiffres de l'association G.O.A.'L). Malgré l'espoir d'une Corée pacifié dans laquelle la population aurait pu se remettre de ses traumatismes, les années de dictature militaires (1963 – 1993) intensifièrent le phénomène d'adoption et mirent en place une véritable politique d’exportation à l'étranger laissant peu de place au bien être des familles.

    Avant d'en arriver à la croissance économique fulgurante des années 1970, la Corée du Sud est un pays à bout de souffle qui peine à se relever de la guerre. Elle est déjà économiquement dépassé par sa sœur du Nord, les techniques agricoles sont moyenâgeuses et le pays est surpeuplé et pauvre.

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    Park Chung Hee
    Le putsch militaire de 1961 place à la tête du pouvoir le général Park Chung-hee. Il emploie la méthode forte pour relancer l'économie et remettre la Corée du Sud sur les rails de la croissance. Pour cela, en 1962, il lance une campagne de politique familiale : stérilisation, légalisation de l'avortement, contraception, réduction de taxes pour les petites familles … La politique de Park est de revenir aux valeurs confucéennes centrées sur la primogéniture et le fils. L'adoption est dans ce programme considérée comme un outil de planification familial car elle permet de contrôler le taux de naissances indésirables dans une société donnée. Ainsi le nombre d'enfant par femme passa de 6,3 en 1960 à 2,8 en 1980.

    Malgré le développement du pays au cours des décennies suivantes, la répartition des richesses n'était pas égale pour tout le monde. La pauvreté était telle que pour certaines familles l'adoption devint une forme d'espoir d'offrir une vie meilleure à son enfant en Occident. 

    A partir de 1976 le gouvernement tenta de freiner le phénomène et de réduire les adoptions jusqu'en 1980. Le plan quinquennal prévoyait de réduire l'adoption de 1000 enfants par an, augmenter le nombre d'adoption nationales et établir un système de quotas.
    Mais avec le coup d'état de Chun Doo-hwan en 1980 et l'augmentation des inégalités, le système pris une plus grande ampleur pour connaître jusqu'à 8 000 adoptions internationales par an. Seuls les JO de 1988 attirèrent l'attention internationale sur le cas si particulier de la Corée du Sud et de sa politique vis-à-vis de l'adoption. Le gouvernent continua de promouvoir l'adoption nationale par une baisse des taxes aux familles adoptantes, sans pour autant obtenir un impact significatif sur la politique globale de l'adoption.
    L'établissement d'un système de protection sociale à l'Occidentale dans les années 1990 eu pour conséquence une baisse faible mais sensible des adoptions à l'international. Le vote de la loi sur l'adoption nationale en 2011 s'inscrit dans la volonté gouvernementale de limiter puis arrêter l'adoption internationale, mais les conditions de cette loi ne permettent toujours pas de compenser le nombre d'adoption internationales avec les adoptions nationales.

    De l'autre côté, l'évolution des familles américaines et européennes étaient propices à l'ancrage de l'adoption dans ces sociétés. Avec la révolution sexuelle de 1968, les femmes reprennent possession de leurs corps et peuvent choisir la maternité sans passer par la procréation.
    A la même époque se dessine le mythe de la famille arc-en-ciel, dans laquelle chacun pourrait avoir son «Coréen» et les aides familiales abondent aussi bien pour les familles monoparentales que les familles traditionnelles stériles. La Corée du Sud comme les pays adoptants y trouvent chacun leur compte afin d'un côté s'acheter une paix sociale et de l'autre convenir à une image de sauveur.

    L'adoption répond à une parfaite logique économique : tant qu'il y aura de la demande, il y aura de l'offre.

    SARAH C.

    Le prochain volet de ce dossier traitera de l'implication sociale et politique dans la Corée du Sud.

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