Le Confucianisme en Corée

mardi, juillet 15, 2014

I- Introduction en Corée


Exemple d’un véritable miracle économique, la Corée du Sud s’est développée et modernisée à grande vitesse depuis la fin de la guerre de Corée (1950-1953) pour devenir un pays ultra-moderne, à la pointe des technologies se classant dans les quinze premières économies mondiales.

Nobles sous la période de Joseon.
Nobles sous la période de Joseon.

Cette modernisation s’est accompagnée d’inévitables transformations sociales comme l’apparition et le relatif succès du Christianisme (catholicisme et protestantisme) aux dépens des croyances et philosophies millénaires comme le Confucianisme. Pourtant, les fondations millénaires de la société coréenne sont encore bien présentes aujourd’hui. Dans cet article, nous vous proposons d’en découvrir une : le Confucianisme.


Le Confucianisme est un terme faisant référence au système de valeurs sur lequel reposent les sociétés chinoise, coréenne et japonaise. Ces valeurs proviennent des valeurs traditionnelles auxquelles adhèrent Confucius et ses disciples. Bien que d’autres valeurs provenant d’autres mouvements spirituels et religieux aient pu influencer la société coréenne, comme le Taoïsme, le Légisme, le Bouddhisme ou encore le Chamanisme, le Confucianisme a eu le plus d’influence dans la construction de la société coréenne et de ses relations sociales, notamment les relations familiales. La famille est, en effet, le pilier du Confucianisme sur lequel vont reposer la société toute entière et l’Etat.


A. Confucius et l’ordre social
Le Confucianisme doit son existence à Confucius (environ 551 – 479 av. J.-C.), un penseur originaire de la province actuelle du Shandong en Chine. Ce contemporain de Bouddha (563 – 480 av. J.-C) et de Pythagore (580 – 495 av. J.-C.) naît dans une période d’importante instabilité politique en Chine, la période des Printemps et Automnes (771 – 481 av. J.-C.). Face à ces troubles et guerres incessantes, Confucius – appelé Kǒngzǐ / 孔子 par les Chinois, Kong-ja / 공자 par les Coréens et Kôshi / 孔丘 par les Japonais – imagine une société idéale et ordonnée au sein de laquelle chacun a sa place et possède des responsabilités définies en fonction de son rôle : « le Seigneur doit être un seigneur, le sujet doit être sujet, le père doit être le père, le fils doit être le fils ». 

Confucius (de dos) s'entretenant avec Lao-Tseu
Confucius (de dos) s'entretenant avec Lao-Tseu. Les rôles sont différenciés et les relations fortement hiérarchisées instaurant ainsi un ordre social permettant de créer une société paisible et harmonieuse.



En définissant les types de relations sociales et un ensemble de principe moraux, Confucius fournit un véritable guide pour organiser la société. Il définit cinq relations sociales de base afin d’ordonner la famille et la société : -Justice, vertu et loyauté entre le souverain et le sujet. -Affection (intimité) entre le père et le fils. -Étiquette et justice entre le mari et la femme (la séparation des fonctions/positions). -Soumission et respect du cadet envers l’aîné. -Confiance entre les amis.

B.L’introduction du Confucianisme en Corée


Le Confucianisme est introduit en Corée autour du VIème siècle a-p. J.-C. mais il n’a pas, à cette époque, de véritable influence sur la société coréenne. Il faut attendre la fin du XIVème siècle pour que le confucianisme prenne de l’importance. En effet, lorsque la dynastie Joseon / 조선 (1392-1910) succède à la dynastie Goryo / 고려 (918 – 1392), le Bouddhisme, alors religion d’Etat mais surtout pratiqué par les élites, est remplacé par le Confucianisme qui devient l’idéologie officielle de la nouvelle dynastie. Contrairement au Bouddhisme, les principes confucianistes sont transmis à l’ensemble de la population coréenne, notamment durant la seconde moitié de la dynastie Joseon (1650-1910). Dès le XVIème siècle, des philosophes coréens comme Yi I / 이이 (1536-1584) et Yi Hwang / 이황 (ou Toegye / 퇴계, 1501-1570) – figurant respectivement sur les billets de 5 000 et 1 000 wons, attestant ainsi de la permanence et de l’importance du confucianisme encore aujourd’hui en Corée – contribuèrent à la diffusion des principes confucianistes à la fois par leurs écrits et par la multiplication des académies confucéennes privées, les seowon / 서원 et les écoles confucéennes locales, les hyanggyo / 향교. Des temples confucéens sont également construits mais ils demeurent moins nombreux et plus sobres que les temples bouddhistes.

Durant la dynastie Joseon, la société coréenne est organisée selon les principes confucianistes. Les rôles et les responsabilités correspondantes sont clairement définis ; les relations sociales sont strictement hiérarchisées. Le confucianisme est si bien intégré et ses principes si strictement appliqués que cela donne à la Corée la réputation – véritable et toujours vraie aujourd’hui - d’être le pays le plus confucianiste au monde, encore plus que la Chine, pourtant pays d’origine de Confucius.

Selon la tradition confucéenne, la société est divisée en quatre classes. En haut de la hiérarchie se trouve les nobles ou lettrés, les yangban / 양반. Puis vient les « gens du milieu », chung’in / 충인, ou classe moyenne. La troisième classe est constituée par le « bon peuple », yangmin / 양민, qui regroupe les paysans, les artisans, les marchands et les pêcheurs. Enfin, en bas de la hiérarchie se trouve les « gens de basse naissance » (ch’ônmin / 천인), groupe qui concentre toutes les professions et positions considérées comme dégradantes : les bouchers, fossoyeurs, croques-morts, tanneurs, selliers, vanniers, peleurs d'écorce d'arbre, chamanes, gens du spectacle, kisaeng / 기생 et esclaves (nobi / 노비). Les Yangban contrôlent la vie politique et sont les garants de l’ordre moral. Versé quotidiennement dans leur profession de lettré, ils ne travaillent que dans le domaine intellectuel, parfont leur éducation et inculque au peuple les idéaux confucianistes.

Lettré dans sa tenue traditionnelle.
Lettré dans sa tenue traditionnelle.

Tout comme la société est hiérarchisée en quatre classes, la famille est également hiérarchisée et les rôles de chacun de ses membres définis.

II- La famille


Dans le confucianisme, la famille est l’unité fondamentale de la société. Elle possède à la fois des fonctions économiques – production et consommation – et des fonctions sociales – socialisation et éducation dans le strict respect des principes moraux et éthiques prônés par cette philosophie – . Par ailleurs, la famille est supérieure (a plus d’importance) que les individus qui la composent et cette dernière est inséparablement identifiée au clan. Ceci explique, qu’encore aujourd’hui, les Coréens donnent en premier leur nom de famille avant de donner leur prénom.

A.La famille, une institution patrilinéaire


Dans la tradition confucéenne, la famille est également hiérarchisée et les rôles de chacun de ses membres sont définis. Les relations familiales ne sont pas horizontales – c’est-à-dire fondées sur l’égalité et l’amour – mais verticales c’est-à-dire fondées sur la piété filiale. Celles-ci sont ainsi caractérisées par la bienveillance, l’autorité et l’obéissance. L’autorité repose entre les mains du chef de famille – toujours un homme –. Pour Confucius, la fonction principale de la famille est de maintenir et préserver le ménage au sein du système confucianiste traditionnel. Cela implique que la relation centrale au sein de la famille n’est pas celle entre mari et femme mais celle entre parent et enfant, notamment entre père et fils.

Famille coréenne au XIXe siecle
Famille coréenne au XIXe siècle.

En effet, durant la dynastie Joseon, la famille coréenne est une institution patrilinéaire. L’autorité repose entre les mains du chef de famille – à la fois homme, père et mari – . C’est à lui que revient le devoir d’accomplir les rites et les cérémonies pour les ancêtres ainsi que de guider la famille. Il a la charge d’éduquer son fils, de lui servir d’exemple et de faire preuve de bienveillance. En échange, le fils (aîné) doit accomplir tous les devoirs qu’implique la piété filiale (hyo / 효). Le fils revêt une grande importance dans la famille car c’est le moyen de perpétuer la lignée familiale. La fille, au contraire, sera « donnée » à une autre famille lors de son mariage et ne fera ainsi plus partie de sa famille « de sang ». 

B.La place des femmes, mère et fille, dans la famille confucéenne


La relation entre les époux est elle aussi très fortement hiérarchisée et inégalitaire. D’après la règle des 3 obéissances, il est exigé d’une femme qu’elle obéisse à son père, son mari et son fils. La femme pourrait se sacrifier complètement pour servir son mari et son fils de manière exemplaire. Elle a été éduquée de manière à ne ni dire ni imposer ses vues sur la vie de famille à son mari, ce qui explique la maxime coréenne « Foyer dépérit quand femelle pavoise ».

La femme possède ainsi un statut subordonné et limité à sa fonction procréatrice. Elle n’a aucun pouvoir au sein de la famille jusqu’à ce qu’elle donne naissance à un fils. Elle n’est alors plus considérée comme une « non personne ». Par ailleurs, les femmes sont confinées à la maison et ne sont autorisées à sortir hors de la maison qu’avec la permission de leur mari. Un des termes correspondant au terme de « femme/épouse » est « anae / 아내 », ce qui signifie « une personne de l’intérieur ». Par ailleurs, dans une famille de Yangban (noble), il est interdit à une femme non mariée de parler aux hommes, à moins que ces derniers fassent partie de la famille (proche). Par ailleurs, les enfants sont soumis à leurs deux parents. Lorsque le mari décède, la veuve et le fils doivent observer une période de deuil de trois ans. 

Femme coréenne sous sa cape durant la dynastie Joseon.
Femme coréenne sous sa cape (appelée chang-ot / 장옷) durant la dynastie Joseon.

Durant la dynastie Joseon, la femme coréenne vit dans la peur constante du divorce ou de l’abandon dans le cadre d’une règle confucianiste qui fixe sept vices considérés comme des raisons valables pour un divorce (demandé par l’homme, impossible pour la femme) : -Désobéissance aux parents du mari. -Ne pas donner naissance à un fils. -Adultère. -Jalousie. -Contracter une maladie nuisible/néfaste. -Commérages malicieux. -Vol. Si la femme ne donnait pas de naissance à un garçon, il était courant pour le couple d’en adopter un ou pour le mari de garder une concubine. Un crime commis par l’épouse à l’encontre de son mari était puni de la même manière qu’un crime commis par un fils contre son père ou un esclave contre son maître. L’épouse ne prend de l’importance que lorsqu’elle devient la mère d’un garçon et lorsque ce dernier se mariait. Elle peut alors commander à loisir sa belle-fille, répétant ainsi les pratiques et les traitements que lui donnait sa propre belle-mère. 

III- Aujourd’hui


Aujourd’hui, plus qu’une religion formelle et institutionnalisée, le confucianisme est un code moral et de valeurs qui influence la société coréenne depuis presque deux millénaires. C’est pour cela que très peu de Coréens se considèrent comme « confucianistes » c’est-à-dire pratiquant le confucianisme en tant que religion – ils ne sont que 1% en 1991 et 104 575 en 2005 soit 0,2% de la population. Les rapports sociaux verticaux, la priorité accordée à la famille et l’importance accordée à l’éducation des enfants en sont les exemples les plus marquants. 

A.Le respect accordé aux personnes plus âgées


Encore aujourd’hui, les relations sociales en Corée sont verticales. L’aîné possède l’autorité sur le plus jeune mais doit lui faire preuve de bienveillance. Ce dernier doit lui montrer du respect à la fois dans la parole et dans les actes, ainsi que lui donner la priorité, comme celle de se servir à table. C’est pour cela qu’un des premières questions que se posent des Coréens lorsqu’ils se rencontrent pour la première fois porte sur l’âge. Cela leur permet de définir leur niveau de langage – honorifique ou non – et les attitudes qu’ils doivent adopter dans leur relation. Par exemple, le plus jeune ne doit pas appeler une personne plus âgée par son prénom et doit utiliser le langage honorifique. 

Prosternations lors d'un mariage traditionnel. © Mai Duong Photography
Prosternations lors d'un mariage traditionnel. © Mai Duong Photography.


Cette hiérarchie des relations est aussi valable dans la famille, entre parents et enfants, entre grand frère/sœur et petit frère/sœur. Même entre jumeaux, la relation est hiérarchisée : le deuxième à être né doit le respect à son frère comme si ce dernier était plus âgé que lui. Les enfants doivent obéissance à leurs parents ou toute autre personne plus âgée qu’eux. Par exemple, avant de se marier, un couple cherche à obtenir l’approbation de leurs familles respectives pour ce mariage. En cas de refus, il est tout à fait probable que le couple cesse toute relation. Les parents peuvent également chercher eux-mêmes un conjoint pour leur enfant, en faisant appel à un intermédiaire suivant les cas, bien que la fréquence de cette pratique diminue avec le temps.

Par ailleurs, dans la société coréenne toute entière et dans la famille, un grand respect est accordé aux personnes âgées. Par exemple, il est rare que quelqu’un de plus jeune fume ou boive en présence d’une personne âgée sans que cette dernière l’y ait invité. Dans le métro, des sièges sont réservés aux personnes âgées et il est très rare que des personnes les prennent même si aucune personne âgée n’est présente dans la rame. Dans la famille, lors de fêtes comme le Nouvel An lunaire, Seollal, les enfants et les petits-enfants se prosternent devant leurs parents. Cela est appelé Sebae / 세배.

Prosternations de piété filiale pour le nouvel An Lunaire, Seollal
Prosternations de piété filiale pour le nouvel An Lunaire, Seollal

B.La piété filiale


La piété filiale et les devoirs qui lui sont associés sont également encore très présents dans la société coréenne. Par exemple, le culte des ancêtres est encore pratiqué aujourd’hui, notamment au moment de Chuseok où les familles se rassemblent et font des cérémonies en l’honneur des ancêtres, parents ou grands-parents. Les dates de décès sont également l’occasion d’une cérémonie commémorative annuelle. Comme selon la tradition confucéenne, c’est au chef de famille (i.e. le fils aîné) de mener ces cérémonies. C’est également à lui que revient tous les devoirs qu’implique l’observation de la piété filiale. Par exemple, c’est à lui que revient la charge des parents lorsque ceux-ci sont devenus âgés et dépendants. Il est mal vu en Corée de mettre ses parents en maison de retraite – elles sont d’ailleurs assez rares –. La préséance du fils aîné et la préférence pour un garçon plutôt qu’une fille, afin de perpétrer la lignée et de remplir les devoirs filiaux – sont encore présentes en Corée même si leur importance est moindre aujourd’hui. Les parents ne cherchent plus à avoir un fils par tous les moyens. Par ailleurs, si la piété filiale est toujours observée de nos jours, elle l’est moins qu’auparavant et certains Coréens, devenus âgés, tombent dans la pauvreté et doivent recourir à la charité pour vivre et pour financer leur enterrement faute d’attention de la part de leurs enfants.

Jeunes filles avec leur tuteur.
Jeunes filles avec leur tuteur.

Enfin, dans la continuité des traditions confucéennes, une grande importance est accordée à l’éducation des enfants. Ces derniers reçoivent une pression très grande dès le plus jeune âge afin de pouvoir entrer dans les meilleures universités. Les parents n’hésitent pas à dépenser de très importantes sommes d’argent pour inscrire leurs enfants dans des instituts privés après l’école ou leur offrir des cours particuliers. Par ailleurs, le métier de professeur est très bien perçu en Corée et élèves et parents montrent (ou doivent) faire preuve de respect envers les professeurs, dans la plus pure tradition confucianiste.

IV- Conclusion


Ainsi, la Corée a été et est toujours – à juste titre – considérée comme le pays le plus confucianiste au monde en raison de son application parmi les plus strictes et fidèles des principes confucéens. Le confucianisme sous-tend l’ensemble de la société coréenne et organise les relations sociales au sein de la famille et de la société toute entière. Cependant, aujourd’hui, suite au développement économique, à l’industrialisation, à l’urbanisation et à l’influence occidentale, les valeurs et principes confucéens déclinent à mesure que la société coréenne se transforme. Cela est particulièrement visible dans l’évolution du statut des femmes, prochain volet de ce dossier.

BÉATRIX


Bibliographie

  • ASIA-PACIFIC CONNECTIONS (APC), “Korean Confucianism”, 2000-2008, Lien
  • CRANE Paul S., “Korean Patterns”, Royal Asiatic Society, Korea Branch in conjonction with Taewon Publishing Company, 1972, 244 p.
  • FABRE André, “Confucianisme et Société en Corée”, Institut National des Langues et Civilisations Orientales, Lien
  • KIM Christine, “South Koreans face lonely deaths as Confucian traditions fade”, Reuters, 21 janvier 2013, Lien
  • MORRISON Madison, “Korea: Confucius and Confucianism”, Madison Morrison’s web, Lien
  • PARK Insook Han & CHO Lee-Jay, “Confucianism and the Korean Family”, Journal of Comparative Family Studies, Vol. 26, No.1, Families in Asia: Beliefs and Realities, spring 1995, pp. 117-134
  • POWER John, “Does Confucianism have a role in Korea today?”, Korean Herald, 13 février 2012, Lien
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