Les temples bouddhistes en Corée : Le B.A.-BA

lundi, septembre 01, 2014

Lors de votre séjour en Corée, vous remarquerez une multitude de temples, sanctuaires, refuges, retraites bouddhistes. Parfois immenses, parfois minuscules, dominant larges vallées, ou cachés derrière un immeuble de verre et d’acier, ces bâtiments sont tels des piliers ancrant la Corée moderne dans son passé millénaire.
Leurs conceptions et constructions relèvent d’un savoir-faire savamment étudié, et d’une expérience architecturale multicentenaire, voire millénaire.

© Corée Voyage / 2014
La conception d’un temple s’appuie sur 3 concepts primordiaux:
  • Un site protégé par les esprits.
  • Une structure originale dédiée.
  • Une organisation d'accompagnement des fidèles et des visiteurs.

I- De bons auspices

Les anciens temples étaient bâtis dans et autour des zones urbaines, souvent établis sur un sol plat plutôt que dans les montagnes. La plupart des temples de la période des 3 Royaumes étaient construits à plat, et cette tradition perdura jusque sous la dynastie Koryo / 고려 / 高麗. Les temples en montagne firent leur apparition durant la période de Shilla unifié et se sont fermement implantés comme temples du Bouddhisme Seon / 선 / 禪 sous la période Koryo. Après la période de Joseon / 조선 / 朝鮮, pendant laquelle les temples n’étaient plus construits à proximité des villes, seuls les temples de montagne furent activement maintenus. L’architecture des temples bouddhistes coréens encore existants se réfère donc à celle des temples de montagne.
Pour comprendre ces institutions et trésors culturels, il est nécessaire de connaitre l’environnement historique et le processus de sélection de leurs sites de construction.

La culture extrême-orientale est basée sur une vision particulière de la nature qui cherche à mettre en avant l’harmonie dans la vie humaine. On insistera sur l’extension de l’énergie qui découle de divers phénomènes naturels et leurs interrelations, plutôt que sur les méthodes empiriques explorant les propriétés physiques.

Le Pungsu / 풍수 / 風水, aussi connu sous le nom chinois de fengshui ou géomancie en grec ancien / γεωμαντεία, est une catégorie de philosophie naturelle développée dans cette perspective. La géomancie est venue de Chine, mais lors de son arrivée en Corée, elle a pris une orientation différente. Depuis des temps très anciens, des temps médiévaux aux temps modernes, la compréhension géomantique de la nature était fermement enracinée dans la psyché du peuple coréen.

Divers aspects de leur vie étaient gouvernés par la géomancie, de la sélection du site d’une nouvelle ville à la construction d’une maison ou l’emplacement d’un cimetière.

La géomancie en Corée a été adaptée aux différents aspects géographiques spécifiques à la péninsule, qui inclut davantage de variations et d’ondulations que le vaste territoire chinois.

La géomancie était de loin la préoccupation la plus importante dans la sélection d’un bon site pour un temple de montagne en Corée.

L’identification des locations basée sur la géomancie peut sembler non scientifique, mais dans de nombreuses sociétés traditionnelles, la géomancie était une méthode de compréhension de la nature, publiquement acceptée. Le processus impliquait un praticien expérimenté et doué qui en maîtrise les principes complexes, et a accumulé suffisamment d’expérience par essais et erreurs. Pour les sociétés du passé, l’application de la géomancie était équivalente à la pratique de la science et de la philosophie.


© T-story  / 2013
Le site idéal de construction d’un temple exige les points suivants:

  • Une haute montagne à l’arrière.
  • Des montagnes ou hauteurs sur les côtés gauche et droit.
  • Une plaine/vallée ouverte et un cours d’eau en vis à vis.
  • Enfin, de l’autre côté de la plaine/vallée, un autre massif montagneux.
En d’autres termes, il faut un bassin/plateau entouré de monts et comportant une orientation favorable, un accès facile à l’eau de source et des conditions optimales de fertilité et de sécurité.

Un tel site est censé fournir aux résidents une énergie et une vitalité plus importantes que dans des sites basiques comme en plaine par exemple.

Les temples coréens ont été majoritairement construits sur des lieux soigneusement sélectionnés et présentant les meilleurs auspices, selon les principes de la géomancie. Ainsi, la plupart des temples de la péninsule sont accessibles par de longs sentiers de montagne, et les bâtiments sont ordonnés de manière à “accueillir” le fidèle ou le voyageur. On construit donc les bâtiments selon une orientation Sud avec un léger angle Est ou Ouest.

De plus, ils sont adossés à une haute montagne au Nord, et flanqués d’élévations moins hautes à l’Est et à l’Ouest.
Dans nombre de cas, ils sont posés sur un plateau caractérisé par une légère déclivité menant à la vallée principale, où coule un cours d’eau à la gauche ou à la droite des bâtiments. Enfin, ils sont situés dans un lieu pourvu d’une source fiable et pure, et sont exposés en permanence à une légère brise, résultant de différences de pression entre les vallées du massif.

Carte geomancique de Hanyang (Séoul) © http://www.sajuforum.com/01forum/poongsu/01_01_eumi.php

Les temples en Corée, en plus de fournir une excellente base de vie, une sécurité et une harmonie d’organisation, sont donc des éléments d’une rare esthétique en termes d’intégration dans le paysage.

II- Une structure particulière

Les cathédrales d’Occident sont des bâtiments colossaux bâtis de pierre, et se découpant très haut dans le ciel. Cette sur-dimension de taille et de hauteur a pu être atteinte grâce au recours permanent à la pierre et aux briques ainsi qu’à la maîtrise des poutrelles longues de soutien, prolongées par des arches et des coffres. En Asie du Nord-Est, la plupart des structures étaient construites en bois. La durée limitée du bois comme matériel de construction définit la dimension physique et temporelle de chaque bâtiment.

A cause de cette contrainte, des petits bâtiments avec une structure interne complexe s’imposèrent comme la solution pour s’accommoder des multiples fonctions d’un temple, plutôt qu’un immense bâtiment avec une seule et unique salle.

En conséquence, la structure et l’organisation des bâtiments et des murs d’enceinte composant le temple devinrent la considération la plus critique dans la construction d’un temple bouddhiste coréen. Quant à l’importance architecturale, elle fut réellement implémentée dans l’arrangement l’organisation des bâtiments plutôt que dans chaque pavillon.

Ainsi, la clé qui permet de comprendre les temples bouddhistes en Corée repose sur la compréhension de la façon dont leurs composants (pavillons, pagodes, halls, portes…) sont organisés pour créer une atmosphère générale.

Il est essentiel de noter que durant les différentes phases de (re)construction, d’évolution, de transformation et de restauration des temples, les structures précédentes furent laissées intactes, autant que possible.

Seul le plan général évoluait, en conservant l’atmosphère originelle.


Avec le temps, le bouddhisme Seon coréen devenant dominant, adopta une approche plus libérale. Ainsi pas un temple de montagne ne ressemble à un autre sur le plan spatial. Plutôt que d’ancrer les temples dans une structure généralisée et appliquée à l’ensemble, seule une matrice générale organisationnelle fut conservée. Chaque schéma reprenant la matrice générale, adapte cette dernière aux spécificités du terrain, des matériaux disponibles, et des conditions de réalisation des composants du temple. Ce processus peut être comparé à celui d’une composition musicale: les changements s’accumulent à travers le temps pour créer une expérience qui développe une atmosphère bien particulière au moment où la musique est écoutée.

Dans bien des cas, le chemin d’accès au temple progresse selon un axe central, autour ou sur lequel les bâtiments sont distribués. On le constate encore aujourd’hui, en visitant les temples de montagne: à l’approche du temple, apparait une première structure en pierre appelée Budo / 부도 / 浮圖, stupa mémorielle accueillant les reliques d’un moine. Puis, s’ensuivront deux ou trois portes débouchant sur un grand pavillon. Ils sont ici pour rappeler aux visiteurs/fidèles d’adopter une attitude pieuse avant d’entrer dans le complexe principal du temple. Puis, on atteint la cour principale où se dresse une pagode. A l’arrière, se tient le hall principal.

Des deux côtés du pavillon central se trouvent les Yosachae / 요사체 / 寮舍寨, quartiers de vie des moines/nonnes résidents dans le temple. Puis, tout autour de la cour, suivant l’axe principal du temple, viennent s’ajouter harmonieusement les halls secondaires et les bâtiments auxiliaires. Les temples de montagne ne comportent aucun couloir reliant les différents bâtiments, comme on peut en trouver dans les temples de plaines (par exemple le temple de Jeongnimsa à Buyeo / 부여 정림사지). Les personnes sont donc libres de circuler à leur guise entre les différents bâtiments du temple.

La meilleure manière pour admirer un temple de montagne n’est donc pas d’observer chaque élément un par un avec comme focale son architecture propre, mais de contempler l’ensemble comme un tout, avec une composition proche de la physiologie d’un corps humain. Si nous avons tous les mêmes organes, chacun d’entre eux est légèrement différent dans sa morphologie sans pour autant différer dans sa fonction. Et pourtant, cet ensemble donne un résultat général différent et similaire à la fois. Aucun d’entre nous n’est exactement identique. Aucun d’entre nous n’est totalement différent. Il en va de même des temples de montagne, qui, par ce processus si particulier et propre à la pensée bouddhique coréenne, acquièrent ainsi leur propre ambiance, leur propre personnalité.

III- Le mouvement

Un point essentiel qui distingue les temples coréens de leurs homologues occidentaux ou asiatiques, est le fait que tout visiteur/fidèle doit traverser une série de portes pour s’en approcher. Ce n’est qu’après avoir franchi ces différents portails qu’il peut atteindre le hall principal. Portes/portails (Moon / 문 / 門) et pavillons (Ru / 루 / 樓) sont appelés de manière collective Mullu (문루 / 門樓).



  • La première porte visible est Iljumun (일주문 / 一柱門). Son nom signifie littéralement “qui inclut un seul pilier”. “Ce pilier” est tout simplement la vision de toute personne approchant du temple. En restant dans le chemin, on ne voit ainsi qu’un seul pilier de chaque côté. La porte comporte un fronton sur lequel est inscrit en caractères chinois / hanja / 한자 / 漢字 le nom du temple et la montagne sur laquelle il est situé.

    Sans espace intérieur, la porte n’a d’autre fonction que celle de servir d’entrée/passage pour accéder au temple.

    Pourtant, sa signification, selon le Bouddhisme coréen, est si grande que tous les temples, petits et grands, en ont au moins une: elle représente l’unité de l’Esprit. Ainsi, en encourageant les visiteurs à rejeter leurs préoccupations triviales et mondaines, la porte leur permet ainsi de commencer leur préparation pour entrer dans le temple et accueillir la compassion du Bouddha.



  • La seconde porte qui apparaît sur le chemin du temple, est la porte Cheongwangmun / 천왕문 / 天王門. Son nom est l’abréviation de Sacheonwangmun / 사천왕문 / 四天王門, qui signifie littéralement “la porte des 4 Rois des Cieux“, connus également sous le nom des “gardiens des 4 directions”.

    Selon la légende, venus des Cieux pour surveiller les fidèles et protéger la parole du Bouddha, les déités protectrices seraient également venues pour veiller à la sauvegarde du 
    Mont Sumeru / Sumisan / 수미산 / 須彌山 / मेरु, maison du Sakyamuni / Seokkamoni / 석가모니 / 釋迦牟尼, le Bouddha historique. C’est le centre mystique du Monde bouddhique.

    La porte Cheonwang est plus large et plus imposante que la porte Iljumun. Elle inclut les statues des 4 Rois des Cieux. Exagérément colorées, avec des faciès souvent hideux et terrifiants, les 4 Dieux sont parfois comiques et ont souvent des poses “envahissantes”. L’attirail, les objets tenus dans les mains, les figures à leurs pieds, tout est fait pour imposer un sentiment particulier aux personnes passant devant eux. Ainsi, en passant la porte Cheonwang, symbole de la moitié du chemin parcouru pour atteindre le mont Sumeru, le fidèle ou le visiteur est invité à se débarrasser des derniers soucis terrestres qui peuvent encore subsister, et avancer vers le temple le cœur pur et frais.



  • La troisième porte, présente seulement dans les grands temples, appelée Burimun / 부리문 / 不二門, met l’accent sur l’unité de l’esprit (son nom signifie littéralement “non-deux”). Les Bouddhistes croient que lorsque une personne possède l’unicité de l’esprit, elle peut échapper aux soucis de ce monde physique et atteindre l’Illumination.

    C’est pour cette raison que la porte Burimun est également connue sous le nom de Haetalmun / 해탈문 / 解脫門 (la porte de la Délivrance).

    Dans la doctrine bouddhiste, la non-dualité se réfère à la croyance que toute chose dans cet univers, incluant vie et mort, soi et autres, monde physique et nirvana, ne sont pas des entités séparées et séparables.
    Burimun est donc la dernière porte à être franchie avant le temple, là où le réel monde du Bouddha repose. Passant cette porte, le visiteur ou le fidèle laisse derrière lui souffrances et lacunes pour entrer dans le monde de la Pureté et de la Vérité.

Restent les pavillons élevés qui, après les deux ou trois premières portes, ouvrent l’espace intérieur du temple. Composés de deux étages, sans murs, fenêtres ni portes, les pavillons comportent uniquement des piliers de support, une plateforme et un toit. Ce type d’architecture est appelé Nugak / 누각 / 樓閣 ou Nudae / 누대 / 樓臺. Les petits temples n’en comptent généralement pas. Les temples qui possèdent de tels pavillons accueillent généralement les fidèles /visiteurs en les conduisant à passer à travers l’espace ouvert de l’étage inférieur et de monter une volée de marches pour atteindre la cour principal du temple.

Se dérouleront dans l’espace ouvert du second niveau les cérémonies religieuses. Et comme il n’y a ni mur, ni porte, les personnes situées sur ou autour du pavillon pourront en apprécier les splendeurs et se recueillir.

D’un point de vue religieux, cela marque le portail final du hall du Bouddha, et cela permet aux visiteurs/fidèles de purifier une dernière fois leur esprit.
D’un point de vue architectural, cet espace est un “outil” remarquable car il permet aux visiteurs de voir le hall principal, Daewoongjeon / 대웅전 / 大雄殿, qui émerge graduellement, comme s’il descendait des brumes du Royaume du Ciel, à chaque marche franchie.

Bien que chaque pavillon Nugak porte un patronyme individuel particulier, il est de tradition d’inscrire dans son nom (écrits en coréen / hangul / 한글 ou sinogrammes chinois traditionnels) le terme de Bojeru / 보제루 / 普濟樓. Boje signifie “étendre un filet entre les 3 Royaumes habités par les êtres doués de sentiments pour les empêcher de se battre”…

PIERRE

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